L’ESPOIR SUR LE RIVAGE, par Nathalie de Broc, éditions Presses de la Cité

Nathalie de Broc, avec un talent qui n’appartient qu’à elle, sait offrir de belles histoires à ses lectrices et lecteurs. Des histoires souvent enracinées en terre bretonne (sa région d’origine).

« L’Espoir sur le rivage » est de cette veine et nous offre l’âpre bataille d’une jeune femme qu’on croyait fragile, mais qui sait, qui peut, qui ose échapper à la violence d’un mari, riche entrepreneur en Normandie.

Auréliane fuit jusqu’en Bretagne et s’installe dans la maison de sa grand-mère, non loin de Roscoff. Elle porte un enfant, c’est pour lui qu’elle se bat et garde la tête haute. La voici se familiarisant avec les algues. Elle parvient à s’imposer.

En Bretagne, ses chemins lui permettent de renouer avec l’amitié et de redécouvrir la solidarité. Peut-elle aimer et faire confiance ? Le traumatisme fut tel que la méfiance peut être un frein au bonheur.

On aime Auréliane, on l’admire et on déteste celui qui fut son mari.

C’est d’une plume engagée que l’auteure nous livre un roman inspiré d’une histoire vraie.

Combien de femmes meurent sous les coups d’un compagnon ? Combien vivent une situation de violence et, par honte, se taisent jusqu’à l’issue fatale ?

Un roman qui se dévore et nous donne des raisons d’espérer.

LE CRI DES FEMMES AFGHANES, Anthologie établie par Leili Anvar, préface d’Atik Rahimi, éditions Bruno Doucey

Cet ouvrage a été publié il y a tout juste un an et reste malheureusement d’actualité puisque l’oppression du régime taliban, de retour en Afghanistan, continue d’installer l’oiseau de malheur sur l’épaule de ces femmes qui ont décidé d’utiliser les mots, le verbe pour crier, se rebeller face à l’injustice qui les prive du droit le plus élémentaire : celui d’être et d’oser.

Voici cette anthologie qui rassemble grâce à Leili Anvar ces poèmes de femmes afghanes qui, depuis le Xème siècle à nos jours, osent défier le pouvoir, quêtent inlassablement la liberté, griffent les âmes et leur redonnent beauté et espérance.

L’ouvrage comporte 4 parties qui montrent la diversité de ces voix. On comprend la révolte de ces femmes, l’angoisse des mères qui craignent pour leurs fils, la douleur des femmes exilées aux cœurs meurtris. C’est un feu qui s’élève passe les frontières et nous interpelle. Que faisons-nous pour nos sœurs qui se cognent dans les murs de l’indifférence et appellent, trop souvent, en vain.

On ne peut rester indifférent à ces poèmes de rage et de désespoir qui déchirent la nuit pour forcer le jour.

Les poèmes sont à la fois publiés en français sur la page de droite et en persan sur la page de gauche. Il faut saluer la préface d’Atiq Rahimi qui croit en la vertu des mots « Nommer, c’est dompter les choses » – (petite précision, en persan, afghan se traduit par cri).

IMMERSION, par Emiliano Poddi, traduit de l’italien par Sophie Royère, éditions Albin Michel

Voici un ouvrage à nul autre pareil évoquant Leni Riefenthal, cinéaste qui se mit au service d’Hitler en réalisant les films de propagande à la gloire du régime nazi. Morte à 101 ans, 
Leni Riefenstahl (née Berta Helene Amalie Riefenstahl le 22 août 1902 à Berlin – 8 septembre 2003 à Pöcking, Allemagne) fut danseuse, actrice, réalisatrice et photographe allemande. Malgré une œuvre remarquée entre 1932 et 1936, elle sera rejetée après 1945 par la plupart des cinéastes pour s’être associée aux menées du nazisme. Mais elle fut aussi la réalisatrice de « Tiefland » tourné en 1941 avec des figurants tsiganes détenus à Auschwitz avant d’être déportés et gazés pour la plupart. Leni gagna son procès, elle ignorait, dit-elle, que ses figurants seraient jetés dans les crématoires ou abattus.

Revenons au roman d’Emiliano Poddi qui nous montre la cinéaste à 100 ans, évoluant en toute quiétude dans les eaux des Maldives. Une ultime plongée pour photographier la barrière de corail.

Elle n’est pas seule, derrière elle, se trouve Martha, jeune biologiste marine qui l’escorte. Martha, et ce n’est pas un hasard, l’observe, elle veut comprendre l’histoire de ce film controversé, sa mère fut l’une des figurantes de « Tiefland ». 

Le roman est construit avec subtilité. On suit le travail de la cinéaste, femme terrifiante autant que fascinante. Qui fut-elle ? A-t-elle nourri des regrets ? Martha voit le présent de cette femme et grâce au talent de l’auteur, remonte le fil du temps. Il faut certes préserver la nature, l’observer au plus près, mais les humains, Leni y songeait-elle quand elle recevait les compliments d’Hitler ?

C’est une plongée dans l’histoire, on perçoit les remous des eaux profondes. Nos vies sont peut-être à l’image des fonds marins abritant tant de mystères et secrets. 

L’auteur offre un roman original, inspiré de faits réels. La puissance de son récit nous questionne et nous hante.

LA CHAMBRE DES DIABLESSES, par Isabelle Duquesnoy, Éditions Robert Laffont

Je suis Isabelle Duquesnoy depuis « L’embaumeur ». J’ai eu l’immense plaisir de la rencontrer deux fois au Hall du Livre à Nancy, pour « Les mémoires d’une mère monstrueuse », suite de « L’Embaumeur » et « La Redoutable veuve Mozart », une auteure de grand talent qui se roule dans la langue française de l’époque décrite avec parfois la grossièreté qui convient, la gouaillerie quitte à être excessive pour mieux pointer les failles et les hypocrisies des puissants. Il y a du Jean Teulé chez elle.

Voici donc racontée l’histoire de Catherine Voisin, célèbre empoisonneuse sous le Roi-Soleil et qui fréquenta Athénaïs de Montespan. Mal lui en prit à la Voisin, les soldats du Roi, sous la direction de La Reynie, l’arrêtèrent, l’interrogèrent (elle leur tint la dragée haute) et elle fut conduite place de Grève pour y être brûlée vive (36 autres connurent le même sort) d’autres croupissaient dans d’infâmes geôles à Vincennes.

Le mérite de l’ouvrage, c’est de nous emporter au cœur d’une histoire, véritable scandale qui eût pu faire vaciller le royaume. La Voisin rêvait de la cour, demandait admiration et reconnaissance. Elle faisait payer cher les gens aisés pour, disait-elle, aider les pauvres filles à se défaire d’un fardeau qu’elle n’avait pas désiré quand il fallait soumettre au maître, au seigneur. 

La Voisin s’est amusée, chiromancienne, devineresse, elle connaissait les secrets des plantes de vie et de mort. En général, ces femmes étaient considérées à la solde de Satan.

Le mérite de l’ouvrage, c’est de nous montrer la Voisin et sa fille incarcérée à Vincennes avec papier, plumes et chandelles afin qu’elle raconte les secrets diaboliques de sa mère afin de se sauver. Marie-Marguerite doit tout dire des recettes, des formules, fournir la liste de ses clients dans la haute noblesse courtisane. Le Roi-Soleil ne peut laisser l’ombre du diable planer.

Des pages truculentes et jouissives.

Bravo !

DERNIÈRE SÉANCE, par Christine Desrousseaux, éditions Calmann Lévy

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Quand Dora, qui s’appelle en réalité Marilyn, (elle déteste son prénom) apprend la mort de son psychanalyste Serge Vergritz, elle ne peut y croire. Pendant plus de trois ans, il l’a écoutée, elle, la podologue à la vie bien ordonnée : séance de gym, repas dominical chez maman. Elle n’est pas mariée, a connu un Claude à qui elle a fait don de sa virginité à quarante ans, mais les vibrations du corps, ce n’était pour elle.

La mort de ce psy la laisse perplexe. Elle a l’impression d’avoir fui en interrompant les rencontres et cette mort ne peut être le point final entre elle et lui. Elle lui doit une visite, une dernière rencontre. Il faut déjà trouver le lieu où il a été inhumé. C’est en Belgique. Elle découvre qu’il était marié. Étrange, il ne portait pas d’alliance. Quoi qu’il en soit elle se rend sur sa tombe et là, tout change. Voici un enquêteur, un exhibitionniste. Que de doutes ! Crime ou pas crime ? Il y a des névroses dont il faut guérir. Les personnes bien sous tous rapports ont leur zone d’ombre.

L’auteure s’amuse nous plonge dans une histoire qui se lit très bien avec parfois une plume grinçante où l’humour n’est loin surtout quand elle flirte avec l’inconscient. Pied de nez à Freud ?

UN ÉTÉ À CAMÉLINE, par Aurélie Haderlé, éditions Presses de la Cité

Naïs, originaire du beau village de Caméline, non loin du Ventoux, après 11 ans de vie parisienne trépidante mais décevante revient au pays. Elle est en instance de divorce et sa mère à la tête d’une exploitation de lavande dont elle tirait parfum et savonnettes pour touristes, vient de mourir. Il y a aussi un gîte pour touristes. Fille unique, elle reprend l’exploitation avec l’aide Bénédicte. Il faut donc se réadapter. Bénédicte a toujours secondé la patronne. La jeune femme se souvient de son arrivée, une valise dans une main et la main de Gabriel dans l’autre. 

Bénédicte a parfaitement rempli sa tâche, avec un fichu caractère. Les deux enfants s’entendaient à merveille. Les études les ont séparés. Le temps a fait son œuvre.

La jeune femme se demande ce qu’il est devenu. Émilie l’amie d’enfance, la renseigne. 

Sa passion des pierres qu’il taille, les riches demeures qu’il restaure, ont fait de lui un homme riche et puissant, à tel point que les mauvaises langues le disent acoquiné à la mafia. 

Et le voici au village, bel homme, mais secret et distant. Troublée, Naïs s’interroge comme c’est le cas avec un riche touriste belge.

Entre les deux mon cœur balance ? L’histoire est plus complexe qu’il n’y paraît. Un terrible secret retient la flèche de Cupidon. 

Ce n’est pas qu’un chassé-croisé amoureux, ce roman pose la question de la reconstruction des êtres blessés, meurtris à jamais. Sous le soleil et le parfum de la lavande, cet or bleu, est un chemin de rédemption.

DE NULLE PART LES OISEAUX SURGISSENT, par Claire Léost, éditions JC Lattès

Tiré d’un fait réel qui s’est déroulé en 2018 au Bois de Boulogne, (l’assassinat de Vanessa Campos, une prostituée) ce fait divers a inspiré un excellent roman. L’auteure nous entraîne dans ce bois fréquenté le jour par les familles chics et la bonne société huppée du 16ème arrondissement, et la nuit par monde qui installe ses abris pour les travailleurs du sexe.

Voici l’histoire de Laura Fuentès, née Luis à Lima. Elle est venue à Paris pour échapper aux nombreux assassinats dont sont victimes les trans. À Paris, la vie est plus aisée, croit-elle, elle pourra gagner de quoi offrir une maison à sa mère.

À deux pas vit, Alexandre Vlady, avocat issu d’une excellente famille juive d’origine russe. Sous ses fenêtres se construit un centre d’hébergement pour les sans-abri. On a beau comprendre la misère, vouloir être humains et pouvoir se regarder dans miroir avec satisfaction, ces gens-là, on ne les veut pas sous ses fenêtres. La bataille est lancée. Comme l’est une autre au Bois de Boulogne, version nuit, résistance menée par Laura.

Deux mondes qui ne sont pas appelés à se rencontrer, qui ferment les yeux et s’ignorent (surtout les personnes de la très bonne société).

Or Alexandre va se cogner à la réalité vécue par Laura, ouvrir les yeux sur ce monde interlope.

Avec beaucoup d’empathie, l’auteure nous invite à voir, à ne pas juger, à comprendre le drame des nuits du bois où les plus forts usent de violence, violent et réduisent en esclavage.

Ce lieu très chic le jourdevrait inviter à aller vers l’autre aspiré par le malheur et le mépris. Il faut du temps. . .

L’indignation ne suffit pas, il faut passer la frontière des convenances. 

 J’ai aimé l’évolution d’Alexandre, la plume fine et sensible de l’auteur.

FÉVRIER 33, L’HIVER DE LA LITTÉRATURE, PAR UWE WITTSTOCK, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éditions Grasset

Voici un ouvrage intéressant à plus d’un titre, et l’on peut dire que l’auteur, Uwe Wittstock à la fois journaliste, critique littéraire et éditeur, en publiant cet essai (c’est sa première publication) a réussi à tout point de vue, à nous expliquer les méfaits du pouvoir nazi.

Le monde est à peine remis de la grippe espagnole, qu’un nouveau chancelier arrivé très démocratiquement en Allemagne. Il va balayer en trente jours la République de Weimar et ses élans humanistes.

Hitler veut son Reich, qui doit durer 1000 ans. Sa folie de pureté le conduira à détester les Juifs, à saisir leurs biens. Mais il vise d’abord les intellectuels qui doivent se taire, se soumettre et s’exiler. La moindre résistance ouvre les chemins de la déportation. Le pays fait le dos rond et les instances étrangères observent quasiment fascinées cette audace tissée de haine. On se presse au « bal de la presse » révélant la pensée nazie et raciste.

L’auteur évoque ces trente jours qui ont muselé Alfred Döblin, Thomas et Heinrich Mann, Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque et tant d’autres. Trente jours pour casser le courant artistique expressionniste. Certains artistes, intellectuels pensent se mettre en avant en séduisant le régime.  

L’auteur a construit son ouvrage très chronologiquement. On le lit tel un roman, illustré de documents et photos. 

C’est le livre du basculement. Qu’est-il arrivé à ce pays, aux belles idées qui font des hommes debout ? C’est un ouvrage qui invite au courage, ne jamais se taire. On est infiniment triste de constater que, trop souvent (aujourd’hui encore), nos silences sont meurtriers quand ils se font complices de l’inacceptable.

LES PANTHÈRES GRISES, CRIME, COQUILLAGES ET CRUSTACÉS, par Williams Crépin, éditions Albin Michel

L’été arrive et Williams Crépin a la judicieuse idée de nous offrir le tome 3 des aventures de cette sympathique bande en diable qui se nomme les Panthères Grises, toujours prêtes à s’embarquer dans des aventures rocambolesques.

Cette fois, c’est avec Maria, la croqueuse d’hommes, qu’une nouvelle aventure se profile. Il faut imaginer la scène, un amoureux du passé a repris contact avec elle. Youppie, la vie est belle. Cupidon ne l’a pas, malgré un âge avancé, mise au rencart. Sauf qu’il ne s’agit de rallumer le feu, mais d’aider Henri, médecin à la retraite à retrouver l’épouse atteinte de la maladie d’Alzheimer. Cécile a disparu depuis une semaine.

Maria, à peine déçue, n’a aucune peine à convaincre Alice, Thérèse et Nadia de lui prêter main forte. L’aventure fait battre les cœurs. On va pousser jusqu’à Noirmoutier. Une folle occasion de quitter Paris pendant un certain temps. 

Elles ont bon cœur nos mamies flingueuses et ne laissent personne indifférent. La vérité doit triompher. Elles y mettent toute leur énergie, saupoudrée d’un humour ravageur. 

Rien ne sera simple, elles iront de surprises en rebondissements. Et on aime cela.

ROCHES DE SANG, par Olivier Bal, éditions XO

Et on retrouve avec bonheur Olivier Bal qui ne manque pas de surprendre en entraînant lectrices et lecteurs à la suite de Marie Jansens, porteuse d’un passé qui l’a rattrapée.

Elle est inspectrice d’Europol, c’est-à-dire qu’elle coordonne les différentes polices européennes lancées dans des enquêtes complexes. Bien malgré elle, elle va devoir suivre une affaire qui la ramène en Corse. 

Elle croyait avoir trouvé protection et stabilité auprès d’un mari aimant, mais les meurtres terribles avec cette signature écrite en corse « que ma blessure soit mortelle » la plongent dans l’histoire terrifiante des frères Biasini, du Clan Mistral, avec un père terrible, violent et parano. Ange, l’un des fils, est l’un des combattants du Clan. Il veut protéger Théo, son cadet, méprisé par son père. Cette famille a depuis toujours du sang sur les mains et tous ont fini par croire ce fait horrible comme normal.

Marie croyait s’être protégée en cachant une profonde blessure.

Ce roman alterne présent et passé (25 ans plus tôt) et nous entraîne de la Corse en Grèce en passant par Belgrade. Un long parcours pour une rédemption douloureuse.

La psychologie des uns et des autres torturés à souhait, sonne juste, ne peut qu’émouvoir. L’auteur aime la Corse belle et mystérieuse qu’il connaît bien. Il livre des pages très personnelles attachantes, bouleversantes.

Ce roman est parfait.